Poème du nouvel an
by on janvier 5, 2017 in Non classé

J’ai été…

d’après Raimon d’ Avinhon (XIIIè siècle)

Ce soir là, l’heure du conte sonnait l’horloge à la veillée.
Venus des quatre coins de la forêt, les convives se rencognaient autour de l’âtre, assez grand pour y placer deux ménines face à face, en presse papier.
Cependant la parole ne venait point encore car chacun goûtait la brindille qui craque et la braise qui soupire.
Trois coups à la porte résonnèrent comme le jugement dernier.
A peine la compagnie s’est-elle retournée qu’un individu drapé de brumes nocturnes, s’assoie au milieu d’eux et les contemple des ses yeux rieurs.
Sans se présenter il commence et tous l’écoutent:

– J’ai été serviteur et ribaud,
et je conterai tous mes métiers en ces terres:
j’ai été arbalétrier,
pécheur et écuyer.
Je sais bien faire des murs de pierres,
mais pour coudre, je n’ai pas mon pareil.

J’ai charroyé bien souvent du mortier
et j’ai chassé plus de cent oiseaux.
Et je suis troubadour bel et bon,
car je compose sirventés et « chansons »;
je suis aussi jongleur  » mal embouché  »
croyant en les sept ordres.

J’ai dilaté l’éclat de la rosée jusqu’à la rendre plus lisse qu’un iris.
Je me suis cogné sec
au plafond du ciel
lancé, vitesse pleine pensée, tel une flèche par la tension
d’un lac d’ Ôo de montagne.

J’ai pris peur de mes ombres,
j’ai été chassé comme un malpropre par les démons
qui savaient que, là-bas, je ne comprendrai pas encore…

Un soir, le luth en pinçant ses nerfs,
a fait vibrer tout mon être.

J’ai imprimé la main dans le brouillard
tout comme le font les Mérens placides
au creux de l’automne.

J’ai vu la montagne-lynx onduler son échine de sapin.
J’ai joui jusqu’à l’orgasme des courbes des roches.
Les chemins de pierres et de mousses connaissent l’allure de mes pieds.

Ils dévalent !

J’ai parlé avec ma sœur la chèvre des montagnes… trois fois .
J’ai refermé la blessure d’une compagne de marche au creux de son ventre seulement en la dessinant dans l’air du bout des doigts.

J’ai découvert malgré tout mon amour pour vous, vous
et vous aussi.

J’ai appris à me battre, à vaincre en perdant
à vivre en me laissant traverser.

Les cirques de rocs tissent leur chevelure de cascades.

J’ai été loup, et je dévalais les pierrils, en chasse
carnassière d’un humain que je retrouvais mon ami.

J’ai été un gigantesque soufflet brassant l’air pur afin
de le distribuer à ceux que j’aime.
J’ai été une micro étincelle de cet air là expiré par un autre.

Après un long silence, l’ancien rompit l’ahurissement du groupe:

– Mais alors Monperclus, qui es-tu vraiment ?

– Ni jamais plus que ce qui fut vous-même !

Et il disparut dans un souffle de chandelle.j-061

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